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2 mars 2008

54. Sixty-six. #2 - L’arbre et la forêt.

2. L’arbre et la forêt.

Te voici à Williams. Tu ne sais plus très bien quand le désert a cessé de l’être, quand est apparu le premier sapin ou mélèze, enfin un de ces résineux qui s’alignent désormais, tu aurais dû remarquer le premier après ce long silence de la vie, pourtant tu es bien sûr de toi, maintenant tu roules en forêt. Quel étrange éclipse de cerveau à force de rouler ! Des arbres à perte de vue.

Bien au frais dans ta coque en métal, ton esprit vagabonde au gré du ciel et des rêves. Le monde du dehors est devenu décor, fond d’écran, des pixels sur un pare-brise. Voyages-tu vraiment en Amérique, ne serais-tu pas le jouet d’un long mirage, de ces rêves qui semblent durer des heures ou des mois, quand ils ne sont que quelques secondes avant le réveil. Pourquoi n’as-tu pas vu la fin du minéral, le premier arbre qui ne cachait même pas la forêt ? Tu n’en reviens pas d’avoir laissé passer ce moment précieux.

Il te faudrait revenir en arrière, recommencer le passage, en ouvrant grand les yeux cette fois, mais il te faudrait reculer de trois heures, revenir à la station-service du souvenir, dernier moment de lucidité du monde. Or tu es déjà en retour arrière, ton esprit est depuis longtemps à t’attendre du côté de Page, et il regarde sa montre aussi. Tu ne peux plus reculer. Aucun pantalon n’est resté sur la plage, aucun importun ne t’agresse. Tu es à Williams, la ville de rien soumise au rythme inlassable des trains immenses qui jour et nuit empêchent tout le monde de dormir, et tu dois arriver à l’heure à l’entrée du parc. A l’heure rouge où flamboient les crevasses.
Vieil indien, dans tes semelles de pneus, assoiffé de chaud et de sable, tu l’aurais vu avant même qu’il se montre, l’arbre, et l’arbre suivant, et les trois arbres regroupés, résineux et peu accueillants, mais plus verts que toutes les encoignures réunies du désert où tu aurais failli périr. Mais non, blanc rêveur, tu conduis négligent ton engin machinal et tu ne sens pas le souffle du vent, l’âme du plateau, la caresse de la nature, cette caresse indispensable et parfois mortelle.

Tu as pris la direction du Nord pour retrouver ta rive de blessure. L’autre rive est trop loin tu le sais, tu y as renoncé depuis longtemps déjà.

La nuit tombe. Tu aurais aimé arriver plus tôt, la dernière lueur rouge incendiant le Canyon. Tu te retiens d’accélérer tu sais ce qu’il peut t’en coûter et que la partie est déjà perdue. Mais tu ne t’arrêtes plus ; tu te rends compte soudain que tu viens de dormir pendant quelques centaines de mètres. Bienveillant, le catxcat est resté dans sa ligne et la route l’a suivi. Frayeur tardive et salutaire, avertissement sans frais, tu renonces au rougeoiement des roches, et tu dors quelques minutes pour chasser la barre du front. Encore une petite centaine de kilomètres.

Tu arriveras fourbu mais entier à l’entrée du parc, le Grand Canyon te nargue dans sa nuit. Tu trouves une chambre dans quelque Holiday Inn de bon accueil, et tu dormiras d’un trait jusque avant l’aube suivante.

Avant que demain il fasse jour, commencera le temps de la contemplation.

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Commentaires
A
toc toc, dring dring.<br /> <br /> Chuis pas sourd. Le poil dans la main gêne la plume dans sa course. Et si ce n'était qu'un poil. C'est un pois aussi, après tout, à chacun son poids. Ma plume est enclume. Tous mes mots me pèsent. Trop de mots. Trop de poids sur le haricot. Pois cassés, mots cassés, mots assez.<br /> <br /> toc toc, dring dring.<br /> <br /> Vivant, qu'elle dit.<br /> <br /> dring dring, toc toc. Drelin drelin.
M
Dring dring fait la clochette !
L
Toc toc ! What's up ?
M
En re-lisant (plaisir jamais assouvi) j'observe que tu narres à tu. Que tais-tu ?
C
J'ai docilement suivi l'invitation inaugurale de ce blog et commencé à suivre l'ordre chronologique, mais le temps me manque pour refaire ce périple pas à pas et j'y reviendrai souvent. La densité et la couleur de ce que j'y ai lu déjà suffit à éblouir.
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