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15 octobre 2012

72. Montagnes rocheuses #2 - Les fantômes pauvres.

Les fantômes pauvres.

Alors tu as pris la route à droite, direction rien du tout. Par là, il y a un village à peine répertorié, un col à 3 662 mètres, une piste de viabilité incertaine. Tu vas la trouver, ta ville fantôme, quand tu ne l’attendais plus. Ta journée dans la montagne servait à passer le temps, tu avais prévu deux nuits à Gunnison et personne ne t’attendait ailleurs, alors il fallait bien passer le temps, oublier l’envie désormais d’en finir, étrange urgence du voyageur, et tu errais sur des routes au milieu des Montagnes Rocheuses dans le fond de l’Etat du Colorado. Un petit creux glaciaire après le verrou, herbes hautes et tourbières, marécages d’altitude, et tout autour, les maisons décrépites dont la charpente et le bardage en bois ne tiennent que par la peinture vive qui les recouvre. Elles sont éparpillées, chacun voulait sans doute garder un peu d’intimité, certaines sont minuscules, maisons de poupée pour pauvres mineurs solitaires, d’autres tentent de se hausser du col, petite galerie, véranda, chien assis, clocheton. Des rêves et des cauchemars dans la vallée.

La petite église, j’entends d’ici les sermons enflammés et moralisateurs de quelque pasteur baptiste ou adventiste face à ces prospecteurs aussi avides que démunis, domine les toits de son clocher bleu ciel, vigile aimable d’un monde détruit. Je pourrais m’offrir un petit plaisir, voir dans ces ruines fraîches la juste logique de l’individualisme et de la violence, et me lancer à mon tour dans un sermon moralisateur et enflammé. Tous ces prospecteurs sont arrivés pelle et pioche en bandoulière, prêts à jouer des coudes, du couteau et du colt pour gagner leur minerai quotidien, chacun a construit sa maison à l’écart des autres, chacun a fait assaut de piété et de labeur. Quelques uns ont pu survivre mais tous sont maintenant partis.

On ne construit pas une ville ni une vie sur un filon. Alors tu penses, à quoi peuvent bien rêver les enfants d’aujourd’hui de ces fous piochant d’autrefois lorsqu’ils prétendent défendre la civilisation !

Qui faut-il blâmer ? Les fous, ou les enfants ?

Ces pensées me traversent et je ne sais pas si c’est un petit plaisir. Plutôt un certain désespoir, tant d’énergie humaine pour ce spectacle de désolation tranquille, et pour le silence du vent qui passe. Une image de l’Amérique d’aujourd’hui et de celle de demain si elle n’y prend garde ; et il faudrait qu’elle me soit modèle ?

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