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1 février 2008

54. Sixty-six. #1 - La photo ratée.

Pour t’étonner, j’aurais pu m’organiser pour que ce billet soit le soixante-sixième. Voilà qui aurait fait de la lumière. Je me contente d’un cinquante-trois point trois, même pas, d'un cinquante-quatre, ces titres changent de numéro plus vite que leur ombre, et tu devras t’y résigner.

 La photo ratée.

A Kingman, vous voici sur la route soixante-six. Tout y est comme dans le mythe. Le désert que rythment les enchaînements de collines, sombres crêtes découpant des plateaux comme carrés de chocolat, que la route saute sans mal et sans perdre de vue la voie ferrée sa copine. Tu sais que si tu dois dépasser un train, il te faudra cent kilomètres tant le tarin est long et tant ta vitesse est proche de la sienne. Voici un train, son fourgon oscille à l’arrière en balançant le feu rouge règlementaire, alors tu t’arrêtes. Inutile de surveiller le convoi jusqu’à se faire surprendre par un passage à niveau improbable surgit de rien, mais fermé.

A quoi bon tenter de dépasser, le passage sera là avant que tu ais fini ta course folle. Tu t’arrêtes.

L’arrêt photo s’impose. Tu devines au loin la grande blessure d’où s’évapore le lac Mead, à la dénivelée qui barre la plaine aux indiens et qui n’est autre que le rebord Nord, plus haut que le sud. La plaine tremble, la poussière tournoie, les buissons roulent. La photo ne fera pas rouler les buissons, mais tu auras chaud rien qu’en la regardant à travers ton souvenir.

Les photos ne savent pas le bruit du vent ni la danse du buisson, ni le tremblement de la poussière ni le cri du train, déjà loin. De l’autre côté de l’océan t’attend la maison, et tu sais déjà que les photos du retour ne seront pas celle que tu vois et entends, celles qui te piquent les yeux et qui transpirent sous ton front. Tu en as pourtant, des images à ton actif. Des dizaines de milliers de partout dans le monde, de Paris au Cap de Bonne Espérance, de Séville à Kaboul, de Lima à Héraklion.

Tu as quelques merveilles dans le tas. Tu sais que ce sont des merveilles, tu l’as su à l’instant où tu déclenchais, longtemps avant de connaître le résultat, joie de l’argentique, irremplaçable. Tu as toujours choisi de ne jamais mitrailler au hasard, et le numérique ne t’as pas convaincu du contraire. Avec tes 1000 photos sur ta carte, tu continue à chipoter et tant pis pour le cliché du siècle que tu laisses passer. Tes doigts n’étaient pas prêts, tes yeux non plus, ta tête encore moins, alors à quoi bon un cliché du siècle que tu n’as pas vu venir ?

Seul le moment du déclic te donne la certitude de la réussite rare ou de l’échec habituel : tout ton être est concentré au bout de ton doigt et même ta respiration s’arrête au moment fatal. Il en faut de l’énergie pour figer l’univers à ta convenance, pour lui voler cet instant instantané. La photo sera ratée, tu le sais, malgré ton appareil haut de gamme comme ils disent, vingt ans de bons et loyaux services, indestructible et démodé. Et trois kilos de sacoche.

Le train est loin quand tu repars dans la fraîcheur de l’habitacle.

Une station service de pacotille surgit, où l’on ne vend ni omelette ni essence, mais l’effigie de Marilyn ou de Gary Cooper, une reproduction de plaque d’immatriculation, la guitare de Dylan et la moto de Peter Fonda. Souvenirs, souvenirs. Tu passes ton chemin, le retour à la vraie vie signifie aussi regarder la montre.

#2 à suivre

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Commentaires
A
Je n'avance plus très vite sur cette route. Mais je n'oublie rien. Un jour viendra où les mille photos seront scannées et mises en ligne.<br /> <br /> Je ne t'ai pas répondu, Marie. je t'ai lue, et j'apprécie comme toujours tes passages, ta passagerie clandestine. Pourtant, il n'y a pas beaucoup de place dans le coffre, et je t'espère la souplesse du reptile pour t'y cacher.<br /> <br /> Encore un peu de temps avant que le corps ne rejoigne l'esprit. Et qu'ils repartent vers l'avion du retour. Peu de jours en vérité, mais les pages blanches s'envolent avec mes mots suspendus dans le vent du désert.<br /> <br /> Les visiteurs ont quitté ces lieux trop silencieux.
M
Mille photos sur la carte en argentique ? j'imagine le nombre de rouleaux de pellicule dans la sacoche et l'angoisse du passage au laboratoire pour le développement.
M
Parce que j'avais dû m'endormir avant d'arriver à la pancarte, coincée entre les valises dans le coffre du catecate, je m'étais profondément assoupie. Même pas senti la voiture démarrer, c'est le déclac de l'appareil qui m'a ouvert les oreilles. Le train a sifflé trois fois.
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