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13 juin 2010

65. la pierre qui parle #3 - La voix.

3. La voix.  


Et soudain le rocher te parle. Ce n’est pas un discours, encore moins une traduction des signes. Ce n’est pas un haut-parleur caché qui te débite des chants folkloriques ni trucage ni vibration de l’air. Tu viens d’être avalé par les traits de charbon de bois s’ils en sont, parce que deux mille ans de plein air nuit au charbon de bois, il s’agit d’une autre mine, et ils résonnent comme autrefois ils raisonnaient dans la tête du sorcier, du chamane, du griot, du gourou, qui les traçait lentement avec son bâton à salir les mains, peut-être en crachant au fur et à mesure pour fixer le trait.

Ce sont les ruminations du derviche que tu entends sans comprendre. On dirait qu’il est en colère. Tu es en colère et il a deviné que tu le serais, tu es en colère et ce que tu entends n’est rien d’autre que ta colère, pourtant tu pourrais à cet instant précis jurer et grommeler que le rocher grommelle et jure. Avec ces sorciers il faut s’attendre à tout, même à ce qu’ils te fassent croire à l’invraisemblable, même à ce qu’ils te précipitent dans la superstition. Ces signes venus du passé et qui se montrent au passant présent fascinent et entêtent. Prends garde à toi : sous prétexte de retrouver les vieilles valeurs ancestrales, les grandes sagesses des plaines et des montagnes, tu vas en oublier les fondements de la raison, la nécessaire impartialité, l’indispensable recul.

Les cérémonies de retrouvailles avec la terre-mère et autres billevesées, quand bien même elles ont pour objet de défier les puissances financières et les exploitations massives, ont un relent de superstition qui les rend aussi dangereuses que le mal qu’elles prétendent conjurer. Alors prends garde à cette corde tendue entre le passé et le présent, à ces voies, à cette voix, et observe les dessins charbonneux pour ce qu’ils sont, des témoignages de la vie qui fut et qui n’est plus, des souvenirs de gloires passées qu’on peut, qu’on doit préserver, et rien d’autre.

Je sais que tu as envie que cette corde existe : elle te permet de partir en un instant à travers les âges, de laisser vaguer ton imagination entre deux eaux troubles sans craindre de te perdre, un coup sec et te voilà de retour hic et nunc. Je sais que sans ces absences les interminables paysages de l’Ouest t’auraient endormi depuis longtemps, ils te l’avaient dit les raisonneurs de salon qu’on s’ennuyait ferme dans le désert, et tu les as fait mentir. Ton secret est là, dans la corde, dans les voix secrètes, dans les rêves d’enfant et dans les inventions de vieillard. Tu n’es pas dupe des magiciens, mais tu aimes bien les regarder dans les yeux, pour y deviner le trouble qu’y fait naître ton incrédulité farouche. Ils s’égosillent, et tu les entends de a à z, ces sorciers qui n’ont pas su sauver leurs peuples.

Je reviens péniblement à la voiture. ‘Aliénor s’impatiente, que peux-tu faire ainsi des heures devant les dessins ? J’ai fait une photo de la dalle entière, pour qu’un jour je m’applique à les recopier sur une feuille au fond de mon réduit de Billancourt. Y trouver un rythme au moins, à défaut de comprendre, je ne suis pas Champollion et je suppose que tout le monde sait ce que signifient ces dessins, il suffit de trouver la bonne adresse. Va-t-elle résonner dans ma cave, la photo, comme le fait le rocher ici ? Bien sûr que non, la photo est autre chose qu’une simple réplique, elle est aussi essentielle que l’original mais de son essence à elle, non de celle qu’elle a utilisé pour apparaître.

Les dessins sur la photo sont mes dessins. Ils ont échappé aux noirs desseins des sorciers. Je n’ai rien volé, mais je vais devoir devenir chamane à mon tour pour que la photo ait un sens et que d’autres qui la regarderont entrent en résonance avec mon silence.

Les dessins de la photo sont taiseux.
.

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Commentaires
M
Pour avoir repris la lecture depuis le premier chapitre - introduction comprise - je me suis laissée distraire par un mot : retest. En Amérique quoi de plus normal d'y trouver un mot d'anglais, du moins je le croyais ...<br /> Ne t'ai-je pas lassé au fil des ans ? Il semble que j'étais plus vive en ce temps-là de nos débuts ...
E
Oups, j'ai fait tomber mon ombrelle...brelle...brelle...brelle...<br /> C'est le problème avec les cahiers de vacances. Un vague survol et hop, on est interrompu par le bruit de l'écho des ballons. <br /> -Ah bon? <br /> -Bah oui, je refaisais mes lacets quoi!<br /> Bizarre bizarre...
L
Pour moi aussi c'est épidermique ! C'est pour ça que je préférais me taire que de penser aux gisants effectivement décalqués autrefois au fusain sous un regard attentif d'un tailleur de pierre. Tout le contraire d'une sous-estimation et vous savez très bien pourquoi je ne peux pas le dire autrement qu'en vous servant cette soupe ici-même. Entre une reconnaissance impossible à témoigner pour ce magnifique tombeau et l'impossibilité/refus de dire qu'il est fait pour moi, je ne peux que vous décevoir et radoter à mon tour. La dette serait impayable et comique si c'était la mienne, je le sais. Mais si je dis que je ne vous dois rien, ce qui normalement devrait être le cas, c'est quand même comme si je m'arrachais un pied sans talon puisqu'il ne servirait à rien . Et si je dis que ce tombeau est étouffant, ce n'est pas plus objectif, personne ne m'oblige à être ici. Agaçant est donc trop faible, je dirais insupportable, monstrueux, innommable, je suis bien d'accord.<br /> Si j'ai investi cette place virtuelle en réalité impossible, c'est que j'avais conscience du danger de manipulation et que je pensais qu'il ne fallait surtout pas ne pas investir cette technique d'autant plus qu'elle était de toute façons en marche, avec ou sans nous. C'est son utilisation qui était douteuse.<br /> D'où la réticence de la majorité à prendre cette place forcément pour ce qu'elle est: froide et sans âme. Parce qu'effectivement, c'est un boulot énorme de retranscrire les contradictions telles qu'elles sont, sans arranger la réalité ni la réduire à la technique. Il fallait donc se servir de cet outil pour pouvoir passer la main, ce que j'ai tenté de faire avec difficulté parce que ça ne s'improvise pas et que ça nécéssite une technique en plus d'une écoute et d'une attention énorme sans pour autant se sentir investi d'une mission divine, irremplaçable! Mais comme on ne prend effectivement pas cette place par hasard, personne n'en voulant vu sous cet angle, la fatigue aidant, le plus pressé d'en finir n'a pas eu tant de scrupule avec ces contradictions. Et ce n'est ni ma faute, ni la faute des soit disant gueulards utopistes qui défendaient des valeurs de gisants, ni de la mienne qui les aurais englouties dans la technique et son charabia. <br /> L'insupportable était dans l'arrangement individuel de quelques uns avec un confort personnel. Ce qu'on paye maintenant, c'est ça. Oui, j'aurais aimé un regard extérieur non dupe et légitime pour dénoncer cette manipulation d'un seul et non pas plus de pouvoir. Parce que devant l'évidence, dénoncer était soit-disant devenu un renoncement à l'évolution normale des choses en opposition avec l'acceptation de cette nouvelle réalité. <br /> Si je me justifie, et que je lâche mes rouleaux de papier toilette ici, c'est que je suis coupable de démission? La distance, nous l'avions. Nous savions ce qui se tramait. La colère venait du glissement pernicieux qui a été fait pour justifier la position suivante: ce n'est rien d'autre que de la technique, tout le monde peut utiliser cet outil, file moi les rouleaux de papier et je pourrai en faire autant. Voilà pourquoi j'étais blasée. Pas parce que j'ai perdu cette place soit-disant merveilleuse mais parce qu'elle a été récupérée et niée dans ce qu'elle avait de dangereux si elle n'était investie que par un seul, qui, ayant compris mieux que les autres la manière de donner l'illusion de la parole par une distribution factice, se l'est en fait appropriée. Il est en effet très facile de faire des sondages "démocratiques" et de retranscrire "fidèlement" ces divisions tout en disant qu'il ne faut surtout pas montrer la faille et faire preuve de cohérence afin de rester soudés devant l'ennemi. Oui, la pierre qui parle est fatigante...<br /> Oui, j'ai décompensé après cette mesure qui a été difficile à trouver par d'autres avant moi et qu'il fallait absolument porter mais qui a été bâclée. Oui j'étais en colère d'entendre tous ces sous-entendus réducteurs sur tout un travail-je dis bien collectif-qui aurait été responsable du besoin de faire joujou d'un seul. Oui, j'ai aussi dit ce que j'avais à dire, pas si bulot que ça en transcription de gisants. <br /> Sauf que vous, c'est pas pareil, vous donniez le sentiment justifié de savoir mieux que quiconque de quoi il retournait et si ce silence entendu me posait problème, je le respectais aussi. Il n'y avait en effet rien à ajouter pour ne pas venir encore cautionner cette soit-disant division qui n'était en fait que la défense de pratiques légitimement et obligatoirement différentes. C'est ce qui a été oublié dans un silence "compréhensif". Jusqu'à ce que ce silence devienne évidence, problématique et source de connivence, de mise en scène, de quiproquos, de nuisances.<br /> Je parle aussi bien du mien qui me suis sentie coupable de n'avoir pas su dire merde comme il aurait fallu. Avec le sourire! Mais non dupe parce que vous savez effectivement mieux que moi ce qu'il en est. D'où l'inutilité de ce billet dont vous jugerez de la dangerosité...
A
A l'air libre, Marie.<br /> <br /> Juste une dalle presque verticale comme un tableau blanc cassé, où s'entremêlent signes et calligraphies d'un autre âge. Légèrement en retrait de la route, derrière un bosquet rescapé de la sécheresse.<br /> <br /> Je ne donne pas cher de la survie de ces signes si le climat change et se met à ressembler à celui de notre cher Cro-Magnon.<br /> <br /> Pour autant, les signes n'ont peut-être que deux siècles, ou dix, ou cent. Qu'importe pour moi qui les vois, je ne suis pas là pour dater mais pour radoter.
M
La pierre qui parle, est-ce à l'air libre ? Je pense à "nos" cavernes qui parlent aussi, ça remonte à la nuit des temps mais ça demeure (et logis) passionnant.
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