23. Tétons #2.
23.2 La
première évidence est la série télévisée.
J’en
suis très peu friand, mais on ne peut pas y échapper complètement, un soir de
fatigue, chez des amis, à l’hôtel, n’importe où. Viennent les films américains,
anciens ou récents, l’Amérique y est comme ici. Enfin, le mimétisme qui
s’empare de l’Europe et du reste du monde, prenons aux américains ce qu’ils ont
de plus plat et oublions qui nous sommes. Avec quelques années de décalage, ce
sont les ingrédients de cette familiarité.
C’est une erreur. Je ne crois pas que cette sensation de chez moi que je découvre en longeant cette chaîne de montagne et son reflet dans le lac, les Grands Tétons, proviennent de l’imprégnation médiatique. Elle serait apparue plus tôt, elle est en réalité déjà apparue, tout ce que j’ai vu était déjà vu, et c’est ce déjà vu qui me plaisait aussi, bien qu’il soit sur place autrement plus convainquant que tous les apprentissages passés. D’avoir vu de très nombreux films japonais ne m’a pas pour autant rendu le Japon familier. Il y a autre chose.
Je ne sais pas encore. Je trouverai. En roulant dans la forêt qui peu à peu fait place à une prairie fleurie, je m’interroge vaguement inquiet : serais-je vraiment devenu américain, serait-ce à ce point contagieux qu’un simple touriste tout à coup ne veuille plus repartir de peur de se retrouver étranger chez lui ? Est-ce donc là le piège, ou bien est-ce une chance ? Est-ce un chant de sirène pour mieux me perdre et j’ai oublié la cire Ulysse ne m’avait rien dit, ou le seul moyen de venir à bout d’un périple trop gourmand ? Est-ce une aventure nouvelle ou une facilité factice ? Je n’ai pas su répondre. Mais les questions restent là, bloquées dans un coin, elles y resteront j’en ai peur et je le souhaite jusqu’à la fin de mes jours.
De part et d’autre de la haute plaine se dressent les montagnes, très finement ciselées par la pureté de l’air et les neiges récentes. Chaque creux est souligné, blanc dans le vent et sombre sous le vent, chaque arête joue avec le soleil. Les Tétons nous regardent passer, à l’endroit dans le ciel et à l’envers dans le lac lisse. Ils en ont vu passer d’autres, même des français qui les ont ainsi baptisés. Aujourd’hui ils ne voient que nous dans le pur espace, ils ne regardent que nous et le cube rouge qui perd de l’altitude en avalant la route.
Je me souviens de ces jours étonnants où nous avons changé.
(à suivre)