57. Territoire Navajo.
Tu sais bien que tu n’es pas tombé en panne, sinon d’envie
d’écrire. Tu as pu suivre la route qui suivait la crevasse qui suivait le fleuve
coloré, en territoire Navajo. La route était enserrée entre deux barrières
barbelées, délimitant comme une immense propriété privée, la réserve indienne.
Réserve. Quel triste mot, ce mot marqué sur la carte, reservation, ouizeuvvéïcheune, ce mot marqué sur les panneaux en un coup de fer rouge, insistant sur l’interdiction de pénétrer. Etrangement, tu avais la sensation que tu étais le prisonnier, que les hommes libres étaient ceux que tu voyais derrière la barrière, à tressauter dans leurs vieux catxcat et pick-up.
Le pluriel de ces mots reste au dessus de mes forces.
Encore aujourd’hui tu te demandes qui était du bon côté de la barrière, qui l’est ? Tu te demandes s’il y a un bon côté, qui est le bon et qui est le méchant, la brute, le truand ? Chacun ne serait-il pas prisonnier de son monde du seul fait que certains n’ont pas voulu partager, respecter, attendre, contourner, ces pionniers et leurs chariots durs, qu’on admire quand seul l’appât d’une herbe verte ou d’un caillou doré les poussait vers l’ouest.
En leur nom, tout le monde fut fait prisonnier des barbelés, d’un côté comme de l’autre.
Ces héroïques pionniers n’étaient que fous : de l’herbe verte en Arizona !