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27 novembre 2006

‎41.4‎. La maison de thé.‎

Nous avons arpenté le Golden Gate Park. Il est encore plus long que tu crois, et nous avons renoncé à marcher jusqu’à l’Océan. Je le regrette encore aujourd’hui parce que San Francisco ne serait rien sans cet horizon liquide qui clapote à l'Ouest et vient mourir sur la plage. Quoi de plus banal qu’un clapotis de plage, quoi de plus terrifiant que le bord liquide de la moitié du globe ? Tout ce que le monde connaît de terres émergées et les humains batailleurs qui vont avec seraient engloutis dans l’étendue devant moi qui clapote, sans que le clapotis ne s’en émeuve plus que cela. Et moi aussi, englouti.

L’Océan Pacifique, nous l’avions longé deux jours durant, à serpenter sur la route numéro one, de Crescent City à Point Reyes puisque tu veux des noms; il nous narguait du pied de ses falaises noires, de ses rochers humides et glissants, de son vent malin à décoiffer un catxcat rouge, de ses brouillards subreptices et pervers. Nous n’avions jamais pu mettre pied à terre et orteil en mer pendant ces deux journées, ni aux pointes battues et hurlantes, ni aux ports huileux et poussifs, ni parmi les otaries mugissantes, ni dans sables dorés et mouvants.

Dix minutes de marche supplémentaire et nous y étions, devant cet océan enfin dompté, prêts à tremper nos abattis. Nous avons dédaigné les dix minutes et nous sommes restés à la maison de thé. Elle est bien cachée, il faut lui tourner autour comme des vautours pour dénicher l’entrée. Les sentiers du jardin japonais dont elle est la Rome serpentent, s’entrecroisent et se chevauchent, passent des ponts (japonais), contournent des étangs (japonais) avec des nénuphars (japonais), d’au moins cinq mètres de diamètre (les étangs, pas les nénuphars), et butent pour finir sur des bouddhas de trois mètres de haut, vous intimant l’ordre de rebrousser chemin, ô toi l'humain minuscule ne viens pas ici mais vas là, la maison de thé est en face.

Tous les chemins mènent à Rome, dit-on ; ici, aucun ne conduit à la maison, en apparence. Nous devons nous noyer dans des buissons délicats d’où les mouvements arrières d'un sqonx ne laissent aucun doute sur ses intentions agressives et nauséabondes, nous devons faire halte à chaque station, étrange chemin de croix de la joie, pour laisser une joyeuse assemblée accompagner des mariées dans la séance photo obligée en ce lieu, sur fond de pagode et de bouddha, sur fond d’étang et de nénuphar, sur fond de squonx l’objectif ne retient pas les odeurs, toutes charmantes et nettement asiatiques.

Asiatiques et charmantes, les mariées, tu l’avais compris, hein ?

Notre marche en est ralentie. Nous avons su longtemps après notre passage que la maison de thé du Golden Gate Park était célèbre dans le monde entier, et que la photo en ce lieu était une sorte de nec plus ultra de la photo de mariage. Puisqu’on me l’a dit. Pourquoi célèbre, allez savoir ? J’aime bien en avoir parcouru les allées avec un plaisir naïf, enfantin, dénué de la secrète fierté piteuse de trouver l’endroit beau parce que célèbre, consciente ou inconsciente cette fierté là est un écran de fumée qui trouble les sens.

En tout cas, je me souviens du jardin japonais, de ses mariages et de ses mariées aux rires cristallins et aux yeux exotiques, et de son thé bien chaud pris au milieu du chant des oiseaux colorés et libres. Nous savions bien que demain nous allions repartir, que nous n’étions pas d’ici, et que contrairement à ce que j’ai tenté de faire croire mais personne n’était dupe, les mariées à la peau mate et aux yeux en amande, aux cheveux de jais et au sourire de nacre, je suis désolé mais elles sont ainsi et je ne vais pas les enlaidir sous prétexte d’éviter un lieu commun, que ces mariées là disais-je étaient beaucoup moins exotiques que ‘Aliénor et moi en train de boire un thé justement à cet endroit et à ce moment, l’appareil photo inerte au bout de sa laisse.

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Commentaires
M
skunks, pas comme le Bronx, quand la dimension olfactive nous est épargnée c'est plus facile.
M
je "vois" les mariées asiatiques, au moins mil et cinq sens
M
Mal dressé l'appareil photo et il n'a pas aboyé ?
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