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23 mai 2007

49 - La traversée. #1 Whitney.

1 Whitney.

Il est inutile de se perdre en discours sur ce que l’on ne connaît point. Y ai-je seulement mis le pied, dans cette vallée, l’ai-je bien descendue ? J’en suis loin, je regarde encore ce matin les bords brumeux du lac depuis la terrasse du motel, et j’hésite entre la petite laine que l’air vif me suggère et la cotonnade indienne que la journée me conseille.

Enfin nous sommes partis de Lee Vining. Tu te souviens de Lee Vining, depuis le temps : nous n’avions pas commencé notre marche vers l’abîme et nous rêvions encore. La grand-route nous montrait le chemin du Sud, alors va pour le sud, camarade. Nous avons longé de vrais lacs, nous avons traversé des villes ignorées, nous avons franchi un col qui ne ressemblait pas à un col, une très vague montée suivie d’une descente imperceptible, faux plat contre faux plat, un changement de pente nommé Deadman Summit.

Le sommet de l’homme mort, voilà qui commençait bien l’aventure annoncée. Deux mille quatre cent quarante neuf mètres, histoire de rester sous les deux mille cinq cents pour ne vexer personne. Juste un prétexte pour entrer dans l’Owens Valley. Les panneaux indiquent déjà que Los Angeles est tout droit devant, mais nous n’irons pas à Valparaiso ni à Los Angeles. Il faudra détourner le regard et le catxcat, plonger dans l’enfer.

Pour l’heure, la vallée est un long chemin tranquille déprimé qui modestement longe les hauts sommets de la Sierra, bien alignés en rang et que nous passons en revue dans un silence respectueux de cérémonie. Chacun a son chapeau de neige, conformément à l’appellation bien contrôlée. Le dernier, là-bas au fond, domine tous les autres donnera le signal de fin.

C’est le Mont Whitney, dont le pied cache le village bien chaud bien sec où nous ferons provision d’eau et de biscuits.

A droite gauche, les montagnes semblent plus petites mais autrement enchevêtrées, à s’y perdre en les regardant seulement. D’autres sont passés avant moi sinon qui aurait construit la route lisse, et les ont nommées comme ils ont voulu. Panamint Range, je crois, j’aurais bien choisi Dedalus Mountains, mais tant pis ce sera  une autre fois, quand je serai le premier quelque part. Rien de franc sous le regard où je tente de trouver des repères, je sais qu’elles savent que je vais y passer, elles m’attendent et j’aimerais bien qu’elles me fassent signe.

Des crêtes blanches et noires, des sommets arrondis, polis par le vent fatigué, comme si la grande plaque orientale installée là depuis belle lurette dans ses mélanges de couleurs avait laissé la plaque occidentale se ruer sur elle et s’élever en cimes neigeuses sous le choc, sans broncher, en gardant pour elle ses entrelacs de matière sèche, comme pour cacher au monde la grande faille mortelle qu’il va bien falloir affronter.

Lone Pine, le village au pied du Mont Whitney point culminant de l’Amérique monobloc, bourgade nécessaire où un dernier repos est laissé à la monture sous le seul arbre visible à la ronde et ce n’est pas un pin, où il faut bifurquer vers l’Est, toujours ce choix entre l’Orient natal et la chute des anges, entre le monde de Dédale et celui du droit chemin, entre la route de la soie et la vallée d’Owens. Avions nous le choix, en vérité ?

La voilà la liberté selon America : croire qu’on a le choix alors qu’il a été fait par d’autres il y a longtemps et nous ne le savons pas. Nous, c’est Dédale, c’est la soie, c’est l’Orient. La route d’Orient est déserte dans cette Amérique là.

Nous nous sommes arrêtés à Lone Pine sur la place de l’ombre de l’arbre pour pique-niquer. Se donner l’illusion de la liberté de ne pas changer d’avis au dernier moment, prendre la température du désir et de la nécessité, celle de l’air par la même occasion, se préparer un cerveau disponible. Jusqu’à ce matin le thermomètre n’avait jamais dépassé vingt-neuf degrés hormis quelques brèves incursions vers trente-cinq loin au nord il n’y a pas trois semaines à Chicago. Sans parler des glaçons dans la porte de Yellowstone ni de Lee Vining ce matin. Nous savons ce qui nous attend.

Bonjour Montagne. Bonjour Monsieur Whitney, je ne sais qui vous êtes et qui vous fûtes et de quel droit vous culminez ainsi, mais je vous trouve très beau. Juste à côté de notre pique-nique, juste au dessus, à nous regarder placide. Ce n’est pas rien de dominer l’Amérique, vous le faites sans prétention, sans fioritures, et si vous avez tous les attributs d’une très haute montagne, vu de la place vous n’en avez pas l’arrogance. Modestie énorme plantée au milieu de la Sierra, nette, lumineuse et bonne.

J’ignore ce qu’est une montagne bonne, mais je le dis de vous car vous m’êtes apparue ainsi, à casser la croûte en notre compagnie. Ce soir le soleil tombera juste derrière vous quand nous serons au fond du trou. Nous ne le regarderons plus, nous allons désormais à sa rencontre vous le savez très bien, comme vous savez que notre vie est de l’autre côté de votre mort.

à suivre.

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Commentaires
M
Exquise politesse, ne nous confondons pas. Je prends toutes les directions comme elles se présentent et si un facétieux venait à trafiquer les poteaux, je remettrais en place derrière lui ...
A
Bonjour Marie.<br /> <br /> Une petite réponse de temps à autre, pour montrer le plaisir d'être commenté. Le dédain du silence n'en est pas toujours, mais procède de la criante de la congratulation machinale, du gouffre de la flagornerie. Crainte, et non criante, mais c'est rigolo la frappe qui fourche.<br /> <br /> Il faut continuer le voyage. Merci de me suivre. Du coup je reste. Mais je me laisse avancer doucement, au gré de mes envies de relater, avec ces avancées imprudentes et ces retours précipités, qui sortent du temps normal de vie. Ecrire le voyage est plus long que le vivre. Mais n'est-ce-pas le sort de tout voyage?<br /> <br /> Une erreur fatale pourrait rendre l'orientation du texte incompréhensible en égarant le géographe attentif. Il ne faut pas lire droite mais gauche, là où j'ai écrit droite et non pas gauche, d'ailleurs c'est corrigé.<br /> <br /> Il ne faut pas perdre le nord.
M
Un ton de courtoisie fort agréable, pas de compteur du temps du voyageur qui passe et pas de bougon qu'il ne faut pas contrarier et surtout ne pas lui adresser la parole ... :-)
M
Et je reste en compagnie du voyage. J'adore ta politesse.
M
Et toujours un terreau fertile pour y repiquer mes fleurs. De l'excitation naît la lumière, de l'excitation naît la confusion, de l'incitation naît le mystère, que pourrais-je éclairer à la lueur de mes mystères ? plutôt me couper la langue.
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